S’il nous fallait une preuve que le cinéma est un miroir et de nos sociétés, le nombre de films récemment portés à l’écran traitant d’extrémisme religieux, d’attentats (Made in France, Nocturama…) en serait une.
Le ciel attendra (en salles ce mercredi 5 octobre) se place dans la lignée de ces films à la différence près qu’il cherche, si ce n’est à expliquer, à comprendre, le phénomène d’embrigadement en parallèle de celui de déradicalisation.
Et n’en déplaise à notre premier ministre, il est important de comprendre. Non pas forcément pour excuser. Juste comprendre. (Ndlr : Valls a dit lors d’un discours ne pas souhaiter que l’on cherche à comprendre au risque de pouvoir ensuite excuser les auteurs des attentats commis)
Ce film, à la lisière du documentaire, est une réussite en ce sens où jamais rien n’est romancé – c’eut été déplacé – mais rien n’y est non plus minimisé. Le film a été réalisé au contact d’une collaboration soudée avec Dounia Bouzar et ses équipes. En clair, la réal, les deux actrices principales et toute l’équipe du film ont rencontré, côtoyé les familles, les jeunes revenus de Syrie ou d’ailleurs, ces mêmes jeunes sous le jougs de puissants gourous, en passe de retrouver leur chemin grâce au travail sans relâche des équipes en charge.
C’est en cela que le film tient sa force et son réalisme. Atouts indispensables à la réussite du film.
Au début justement, j’avoue avoir eu du mal à entrer dans le film. Trop de cris, de larmes, de dureté, de souffrances. Je devais en quelque sorte rejeter un tel film venu se faire l’écho d’un sujet bien trop grave. Comment faire d’un sujet si mal compris, tellement en dehors de toute compréhension possible, une œuvre cinématographique ? J’ai beau croire au cinéma, je choisissais de rester en dehors.
Puis j’ai fini par être happée. Happée justement par le réalisme du propos et par cette réserve, cette volonté de montrer le réel sans jamais romancer les choses ni tenter d’en extraire de la cinématographie. Je réalise en écrivant cela que ce n’est sans doute pas un grand compliment pour la réalisatrice qui a fait le choix de faire un film et non un docu mais je dois avouer que c’est bel et bien cet aspect docu filmique qui m’a permis d’y croire et de noter l’importance d’une telle œuvre.
Cette réserve mêlée à la qualité de jeu des deux jeunes actrices principales qui nous ont expliqué à l’issue de la projection avoir puisé la force et la vérité de leur jeu dans les rencontres et échanges qu’elles ont eu avec ces mêmes jeunes filles suivies par Dounia Bouzar et son équipe. Un travail d’orfèvre donc.
Sandrine Bonnaire et Clothilde Courau, excellentes toutes les deux portent quant à elles la difficile mission d’incarner la détresse parentale dans de telles situations. Elles portent en elles la difficile mission qui vise à tenter de comprendre comment « ils » ont pu faire croire à ces enfants que la mort valait plus que la vie…
Enfin et j’aurais dû commencer par cela, la réal fait le choix de porter à l’écran l’endoctrinement de deux jeunes adolescentes. Pas de garçon à l’horizon. Car il est vrai que les médias ne parlent souvent que des jeunes bien souvent musulmans, issus de milieux défavorisés comme si ces derniers avaient fini par déraper. Ce film met le doigt sur le fait que ceux là, ne représentent qu’une minorité. Des gamines élevées en dehors de toute confession religieuse, issues de milieux favorisés, il y en a par contre une ribambelle. On en parle moins.
Elle nous a expliqué avoir voulu montrer le cheminement qui peut mener à l’embrigadement de jeunes filles issues de milieux divers et protégés : « elles ont tout mais il leur manque l’essentiel ».
Comme à son habitude Marie Castille Mention Schaar, la réalisatrice, parvient à filmer l’adolescence avec brio. Elle filme cet âge d’entre deux, cet âge de tous les possibles avec un fil de soie d’une délicatesse et d’une précision extrêmes.
Sans forcément que tous les adolescent(e)s de la Terre soient en passe de tomber dans les méandres de ces extrémistes, elle montre la fragilité de cet âge où l’on est empli d’idéaux, empli de cette force de vouloir comprendre et aider le monde, empli de cette quête de sens, empli de cette volonté de tracer son propre chemin parfois à l’opposé de celui choisi par ses parents. Empli de vide bien souvent, et de doutes, et de peurs.
Entre peur et confiance aveugles, l’adolescence est cet âge complexe de dualité, cette même dualité ici extrêmement bien montrée.
Elle montre enfin qu’il y a une issue possible à cette horreur d’embrigadement. Et l’on respire à nouveau.