Birdman c’est déjà ce plan séquence qui nous guidera pendant toute la durée du film. De cette toute première image / scène où le super héros déchu, de dos, semble vouloir partager avec nous son mal être et son dégoût pour le lieu dans lequel il se trouve. Son dégoût pour sa vie en somme.
Ancienne star d’un blockbuster ayant cartonné dans les années 90, notre héros n’en est plus un. Comme on passe à une autre étape de notre vie, les regards se sont peu à peu détournés de lui alors que d’autres arrivaient sur le devant de la scène avec l’envie d’en découdre et de (se) vendre.
Car oui il est question de business (peu ou pas florissant), de gloire (déchue), de succès (passé) et d’amertume dans ce Birdman très justement primé aux Oscars le weekend dernier.
Birdman est à mi chemin entre The Wrestler qui nous donnait à voir la renaissance de Mickey Rourke en catcheur filmé par le grand Darren Aronofsky et Maps to the stars de Monsieur Cronenberg qui nous invitait dans les bas-fonds d’un Hollywood pas aussi glam mais encore plus impitoyable qu’on aurait pu l’imaginer.
Sans forcer le trait, Inaritu nous met face à la réalité de notre société boursouflée et presque gangrenée par l’appât du gain, la recherche du « tout tout de suite », et la non profondeur des choses. Cette superficialité qui serait à l’origine du déclin même de notre société.
Tout dans ce film vise à éclairer ce propos.
Cette double mise en abîme déjà : une pièce de théâtre dans un film qui, tous deux visent à nous plonger dans une réflexion sur la vie, sur « l’usage » et l’enjeu de la vie.
Les acteurs ensuite qui, tous, viennent appuyer un pan de ce propos. Tous sont géniaux d’ailleurs de Michael Keaton à Edward Norton en passant par Emma Stone, Naomi Watts et Zack Galifianakis. Au delà d’être toujours, à chaque seconde dans la justesse de leur propos, ils parviennent à incarner, chacun dans leur rôle, les peurs et les angoisses propres à chaque acteur et plus largement, propres à chacun des humains de cette planète (oui oui, ces petits pointillés sur la feuille de papier hygiénique !). La question de l’ego a rarement été aussi bien montrée et analysée. Cet ego / ce « moi » qui « titille » tout un chacun et pas seulement les star de nos écrans. C’est en cela que le film touche à l’universel et nous parle à tous.
C’est franchement brillant à chaque seconde, dans chaque séquence. Et puissant. Et tellement juste.
Sous couvert d’égratigner les George Cloney, Robert Downey Junior ou autre Justin Bieber dont la célébrité n’est pas relative, Inaritu cherche surtout à pointer du doigt les risques qu’impliquent le fait de ne vivre qu’à moitié. Et il nous rappelle que Vivre et Exister ne sont pas exactement la même chose, qu’être célèbre et heureux ne vont pas forcément de pair. En parallèle, Inaritu, au travers du rôle de la fille (Emma Stone) évoque l’idée complètement ancrée dans les mœurs qui voudrait que la célébrité et / ou la présence notoire sur les réseaux sociaux (la fameuse « influence ») ne soient les seuls justificatifs de l’utilité ou non d’une vie : « You don’t matter » dit-elle à son père pour lui signifier qu’il est complètement has been.
C’est donc toute cette société du paraître, cette société du « like », du « share ». Cette société où tout doit aller vite, donner du résultat et du ROI sans tarder qui est scrutée et quelque peu égratignée.
Et le succès et la puissance du film tiennent au fait que jamais le réalisateur ne va jusqu’à critiquer cette société toute connectée et basée sur l’unique recherche de la notoriété. Il en montre les limites et les dérives sans jamais nous dire que nous sommes dans le mal, encore moins la stupidité.
Cette réplique où notre héros dit son regret d’avoir filmé la naissance de sa fille et de n’avoir donc pas pu véritablement, intégralement, fondamentalement, humainement vivre ce moment, sans doute le plus fort de toute sa vie évoque très justement ce mode presque parallèle à notre vie dans lequel nous nous enfermons.
Au final, ce que nous dit le réal n’est autre que l’importance de garder les pieds ancrés dans cette société tout en déployant nos ailes. On a tant besoin de prendre de la hauteur.