Ce qui frappe déjà dans ce film c’est le sérieux qui vient qualifier les deux jeunes hommes de cette histoire et qui fait mentir la célèbre sentence de Rimbaud (On n’est pas sérieux quand on a dix sept ans, ndlr). Pas de crise d’ado sous jacente, une relation saine et solide avec la famille et l’entourage, une volonté de partage et d’écoute, aucun besoin de confrontation avec les parents et pas même l’once d’une rebellion scolaire. Du « sérieux » en barres.
Seulement voilà le mal être se situe à un autre niveau. L’attirance toujours tue mais palpable qui étreint les deux jeunes hommes est pour chacun d’entre eux impossible à accepter et prend vie au travers des coups qu’ils s’assènent l’un l’autre. De la difficulté d’exprimer et de vivre ses sentiments.
André Téchiné et Céline Sciamma ont écrit cette belle histoire en trois temps, à quatre mains. Et l’on sent la touche de chacun d’entre eux.
De Téchiné j’ai reconnu cette presque invasion de la nature et de l’espace environnant : il est véritablement passé maître dans sa façon de filmer les éléments : la neige, la montagne et, plus tard, la force du soleil qui tape et chauffe, le souffle du vent qui tantôt nous repousse et tantôt nous redonne justement ce souffle qui viendrait à nous manquer. Ce que j’aime cette poésie naturelle et naturaliste !
De Céline Sciamma j’ai perçu cette force et cette rage de la jeunesse, cette réflexion sur le fait de parvenir à prendre sa place dans une société qui ne nous laisse pas vraiment de place et surtout ce fourmillement intérieur qui vient contrarier le calme de l’enfance qui nous symbolisait jusque là.
Ces deux grands scénaristes et metteurs en scène ont clairement la maestria de porter à l’écran les tumultes de cet âge « d’entre deux ».
Ce film n’est pas tant un film sur l’homosexualité, je pense que le réal aurait pu injecter autant de force, de contrariété et de « débordement » physique dans un film qui aurait mis en scène un garçon et une fille. Le « blocage » ne vient pas du fait que l’attirance soit entre deux garçons mais vise plutôt à montrer l’émergence de ces sensations physiques qui viennent « dépayser » et forcément bouleverser les adolescents et adultes en devenir. Et c’est très justement signifié.
En ce sens j’ai trouvé le film très « moderne » et actuel car jamais la question du questionnement quant à l’homosexualité ne prend racine. Cela ne pose de problème à quiconque si ce n’est à ces deux jeunes hommes débordés par leurs sentiments. On est désormais loin du jugement moral et sociétal et grand bien nous en fasse.
Par ailleurs le trio d’acteurs est sublime et en totale alchimie : Sandrine Kiberlain est par-faite et chaque fois sidérante quelque soit le rôle (mais quel est son secret ?!) Corentin Fila qui a 27 en vrai est subjuguant de rage contenue : j’ai totalement ressenti le mal être mêlé à l’envie de « se faire une place » qui siège au fond de ses tripes et ça m’a beaucoup touché. Enfin Kacey Mottey Klein joue parfaitement de ce coté mi « fils de » mi « fils de la campagne », il a ce physique « à la Eddy Bellegueule » et sait parfaitement jouer de cette même dualité qui est celle d’Edouard Louis qui a cet air mi angélique mi beauf. J’ai d’ailleurs appris que Téchiné avait voulu un temps adapter le premier roman d’Edouard Louis « en finir avec Eddy Bellegueule » mais qu’il avait renoncé à ce projet. Il est clair qu’il a injecté un petit quelque chose de cette histoire dans le film et grand bien lui en a fait puisqu’on est face à une très très belle réussite et un grand film sur l’adolescence.
paule
Bravo pour ce commentaire.