« La vie ou le monde n’apporte que des problèmes ». Voilà ce que l’on peut lire sur les murs de la cité. L’espoir semble avoir déserté les lieux. La fatalité est de mise.
Désormais, la violence apparaît comme étant la seule manière de se faire entendre. Elle est alors au cœur du quotidien, dans les relations que tous entretiennent avec chacun car il faut avant tout se faire une place dans la hiérarchie de la cité.
La cité, cette ville et cette vie parallèles, qui impose ses propres lois, ses propres règles. Qui dicte ses codes. C’est dans cet univers que Ladj Ly nous emmène avec son premier long métrage de fiction, le très puissant : Les Misérables.
Ladj filme depuis qu’il a 17 ans. Il filme son quotidien dans cette cité de Monfermeil-Les bosquets et nous a déjà livré plusieurs documentaires et un court métrage intitulé… Les misérables.
Il développe alors ici son propos, aiguise et détaille son discours et son observation de la banlieue.
Et il s’y attelle sans jamais tomber dans un quelconque misérabilisme (il n’aurait pas eu la légèreté de choisir ce titre s’il en avait été question), et sans jamais hésiter non plus à montrer les aspects les plus durs du quotidien. Entre ciné vérité et force de propos, le grand réalisateur qu’il est déjà réussit un tour de force tant il parvient à illustrer la vraie vie des banlieues sans caricature ni fioriture.
Là où le film me subjugue encore davantage c’est dans son refus de toute colère. Comprenez bien que le film est violent, qu’il relate cette violence que j’évoquais en tout début d’article. Cette violence qui fait partie du quotidien de ces habitants et de ces flics mais Ladj Ly réussit à garder une distance nécessaire avec son sujet – aussi personnel soit-il – ce qui le rend à mon sens encore plus fort. Il a trouvé la maturité nécessaire (il s’agit pourtant de son premier long comme je le disais) pour traiter son sujet avec la délicatesse et la longueur de vue dont il avait besoin.
Et son film n’en est que plus fort.
Il nous arrive tel un uppercut qui m’a transcendée tant il donne à voir ce qui justement nous est caché. Cette poussière que nos politiques cachent sous le tapis depuis trop longtemps, depuis toujours. Cette rage que portent en eux les jeunes qui grandissent dans ces environnements peu propices à l’ouverture au monde m’est apparue encore plus forte, et Ladj Ly la montre notamment au travers du regard de ses trois personnages flics : Chris, Gwada et Pento, le nouveau tout juste débarqué de sa campagne et peu préparé à ses nouvelles missions. C’est dans son regard que l’on voit l’injustice de traitement, les manquements d’une police qui se croit justiciable à merci et au dessus des lois. « C’est moi la loi » dira Chris dans une explosion de colère comme pour marteler le petit pouvoir qu’il pense avoir alors qu’il est et se sait autant pieds et poings liés que tous ceux qu’ils croisent chaque jour. Lui aussi est un Misérable. En cela le film de Ladj Ly n’est jamais un brûlot car il n’est ni anti jeunes, ni anti flics. Il donne une image de ces banlieues désertées, laissées pour compte, abandonnées par les pouvoirs politiques nationaux et même locaux, sans intransigeance et sans être jamais binaire. Les caisses ont été vidées et il n’y a plus de vacances pour ces gosses, ces « microbes » avides de découvertes et d’aventures, plus d’activités extra scolaires… plus rien. Reste les délabrements et l’insécurité.
Ladj s’applique pourtant à montrer la vie et la joie qui inondent la cité, par le prisme du groupe. A ce titre il faut voir cette scène d’ouverture, grandiose, qui illustre cette France métissée, évoquée sous l’appellation « black blanc beur » si largement par la presse, si vite reléguée au second plan… Cette France qui n’a pas tenue ses promesses en reléguant au second plan, sitôt les célébrations footballistiques terminées, tous ceux qui n’ont pas la chance de vivre du bon côté du periph’.
Cette délimitation que l’on cherche d’ailleurs à contourner, à fuir par les airs : merveilleuse idée que l’usage de ce drone pour figurer ce besoin de prendre de la hauteur sur ce quotidien gris et répétitif. Ladj filme ce petit Buzz (son fils dans la vraie vie) comme une espèce de passe muraille, en mesure de transcender un quotidien voué à se répéter à l’infini.
Dans la chaleur étouffante de l’été, Ladj Ly filme – avec des idées de cinéma à chaque plan et à chaque scène – cette réalité qui dit les limites de notre pays qui promet liberté, égalité et fraternité… Mais que faire des promesses lorsqu’il n’y a plus aucun idéal ? Lorsque même le minimum vital n’est plus assuré et que le lien est rompu ?
Reste ce cri du cœur, ce coup de poing sur la table donné par un homme encore à l’intérieur mais dont la passion pour le cinéma a réussi à l’emporter vers d’autres contrées. Une alerte pour dire l’urgence d’une situation plus qu’inflammable … « Vous n’éviterez pas les pleurs et les cris » dit l’ancien voyou repenti, tel l’oracle.
La fin est poignante au possible… ce regard plein d’amertume, de colère et de résignation chez un si jeune garçon, ça fend l’âme… Mais Ladj Ly fait le choix de montrer qu’une dose d’espoir subsiste encore.
Un film qui porte le glaive. Implacable.