Elle l’a reconnu, son film n’est pas parfait. Ce n’est pas pour autant que ça en fait une Palme mineure, bien au contraire. Nous avons là une Palme qui comptera dans l’Histoire du Festival de Cannes, du cinéma français et plus largement, mondial.
Car ce film, est celui d’une femme – et ça compte, car il y en a encore trop peu – et ce film correspond à un genre de cinéma que certains caractérisent encore de « cinéma d’homme », comprenez le cinéma de genre, comprenez le film d’horreur.
Titane est donc le second opus de Julia Ducournau qui nous avait réveillés d’un sommeil bien profond avec son Grave, qui nous avait tour à tour écoeuré, fait palpiter les alvéoles, scotché à notre siège, surpris, ému aussi. Un film qui avait mis à rude épreuve nos sens et nos émotions. Et c’est sans aucun doute la raison pour laquelle il a marqué les estomacs et les esprits.
Il y avait déjà dans ce premier long métrage des idées de cinéma (cette scène filmée sous la couette en est une qui m’a beaucoup plu et marqué).
Car oui, Julia Ducournau tente des choses, elle expérimente. Elle ouvre une voie vers un cinéma purement sensoriel, sensuel (au sens premier du terme, qui fait appel aux sens) dans lequel le scénario compte pour beaucoup et dans lequel il imbrique une mise en scène très recherchée, très marquée aussi, et des effets dignes du cinéma de genre auquel ses films se raccrochent.
Elle livre ici, avec ce Titane, un film brut mais extrêmement travaillé. Le jeu des acteurs, les décors, le mouvements des corps… tout est peaufiné presque armuré je dirais et c’est d’ailleurs là qu’est la limite du film à mon sens. Il m’a manqué l’émotion, il m’a manqué la part de l’humain.
Car son film dit avec force, métal et poésie qu’il existe au tréfond de chacun d’entre nous, êtres polis que nous sommes – poli du verbe polir, au sens de la frustration que la norme sociale nous inflige – un monstre qui ne demande qu’à émerger. Le film va plus loin, et dit l’urgence à faire vivre ce monstre pour exister alors pleinement et connaitre notre richesse et expérimenter notre vraie liberté.
« Merci de laisser entrer les monstres » a t-elle dit au jury lors de son discours de remise de prix samedi soir.
En cela, j’aime ce film pour ce qu’il dit qui est très important et libérateur dans une société qui norme, cadre, case, enferme.
J’aime moins la façon dont il le dit car il m’a manqué l’émotion. Entre ce père et ce fils, je n’ai pas senti le lien. J’ai trouvé la seconde partie décousue. Elle dit trop, montre trop mais ce côté démonstratif ne sert pas le propos à mon sens. Je retrouve les travers d’un discours féministe encore trop cadré. Peut-être suis-je à mi-chemin entre conscience trop rétrograde et trop avancée mais je crois qu’il y a d’autres façons de dire le féminisme qu’en montrant les règles ou un avortement. J’entends que là, précisément, dans le cadre de ce film de genre, cela s’y prête mais je doute qu’il faille être aussi démonstratif. Ce n’est qu’une goutte d’eau (ou de sang si j’ose dire) et la richesse du film est bien ailleurs.
La première partie, brûlante, fiévreuse envenime la pellicule et m’a laissée bouche bée à bien des reprises. J’ai donc été déçue que la seconde partie me semble si froide et désincarnée.
Et puis il y a toutes ces références de Christine, à Massacre à la tronçonneuse en passant par Robocop ou encore l’Exorciste. J’aime que la réalisatrice cultive son amour pour le genre, qu’elle fouille ses classiques pour ouvrir la porte à un cinéma de demain qui ose, qui tente, qui expérimente. C’est là le futur d’un art qui est sans doute à un nouveau tournant de son existence. Il est si dense, cet art, car il emprunte à tous les autres (musique, image, son, écriture…) A l’image de l’humain qui se nourrit de tout ce qui l’entoure. Une espèce si riche et complexe. Sachons le / nous rendre toujours vivace.
Définitivement une grande affaire et histoire de genre(s).