C’est le jour de la photo de classe et il aura suffit d’un simple coup de peigne et d’un miroir tendu pour que Gary sache – instantanément – qu’il a rencontré la femme de sa vie en la personne d’Alana. Celle qu’il épousera plus tard et celle qui lui donnera des enfants.
Licorice Pizza, le nouveau film du maitre PTA (Paul Thomas Anderson : There will be blood, The Master, Phantom Thread… clairement l’un de mes réalisateurs préférés actuellement) est l’histoire de cette rencontre entre deux caractères, deux personnalités, deux charismes.
PTA est de ces réalisateurs qui savent réinventer leur cinéma à chaque film – une gageure tant il est plutôt de mode à Hollywood aujourd’hui de tirer les mêmes ficelles – et qui parviennent à créer des univers. Chacun de ses films transcende mon approche du cinéma. Je l’ai découvert avec There will be blood qui est sans doute l’un de mes premiers chocs cinéma. J’ai le souvenir d’une sensation encore jamais ressentie face à l’immersion totale que m’avait procuré ce film, dense, lourd, prenant… J’en garde des images et ce sentiment puissant d’être ressortie de la salle un peu différente de celle que j’étais en y entrant.
Et puis il y eut The Master, cette histoire de secte dont je ne suis, quelque part, jamais sortie tant l’interprétation de ses deux personnages centraux m’ont marquée, et le terme est faible (Philip Seymour Hoffman et Joaquin Phoenix.) Et puis il y eut le duo DD Lewis et Vicky Krieps et cette fameuse omelette aux champignons. Inoubliable jeu de dupes, de soumissions et de force.
PTA créé des univers donc. Puissants et ancrés mais également à la lisière du lunaire ou de l’imaginaire. Mais les images restent, puissamment ancrées. Les regards aussi… Il créé des mondes.
Et c’est exactement ce qu’il fait à nouveau dans cette bluette intello romantique qui nous surprend à chaque scène par la naturel et la simplicité dont elle fait preuve. On ne sait jamais où le film va nous emmener et le fil est au final tendu, il ne se casse jamais. Le fil narratif ne dévie pas, il nous mène d’un point A à un point B et pour autant nous donne le sentiment d’une ribambelle de rebondissements et de suspens. L’aura qui émane de cette rencontre puis de toute la période d’apprentissage l’un de l’autre est immensément puissante quoique si délicate.
Mais bien au delà du simple fait de filmer une histoire d’amour entre deux ado, PTA filme ce que l’on appelle communément le charisme.
Alana a 25 ans et vit toujours chez ses parents, très protecteurs. Sous couvert d’un caractère bien trempé elle semble avoir peur de se lancer dans la vie lorsque Gary, tout juste 15 ans, a la maturité de ceux ayant vécu un drame qui les aura poussés à grandir trop vite. Il est seul avec son petit frère dont il s’occupe au quotidien. Il est enfant acteur et se rêve en maitre du cinéma. C’est pourtant ailleurs que son destin l’emportera. Faute de rôles, il décidera alors de se lancer dans le business des matelas à eau et engagera Alana dans cette entreprise. C’est sur cette base que leur union se créera et qu’ils apprendront à collaborer, à se fréquenter, à se découvrir.
Ces deux personnalités nous embarquent alors dans leur frénésie de vie, de projets, de découvertes dans un Los Angeles fourmillant de vie (nous sommes en 73) quoiqu’à la lisière de l’arrêt forcé (la pénurie d’essence qui présume du choc pétrolier à venir et qui bousculera l’Histoire de l’Amérique tout entière). Licorice Pizza est ainsi l’histoire d’un passage à l’âge adulte et de celui de la fin de l’innocence. Et l’on pense ainsi bien sûr à cette autre déambulation qui m’enthousiasma fortissimo à l’été 2020 : Once Upon A Time in Hollywood.
Je garderai alors en tête le regard de Gary posé sur Alana, sa forte confiance en lui qui lui octroie un charme indicible et nous donne envie de le suivre au bout du monde. Le charme vénéneux d’Alana et son aplomb lorsqu’elle sera au volant de ce camion et gèrera une marche arrière comme personne ! Clairement la meilleure scène de voiture vue depuis des lustres ! Et leur complicité et le duo qu’ils forment, contre vents et marées.
PTA nous dit qu’il faut laisser le temps au temps. A l’heure où tout va trop vite, qu’une rencontre a déjà perdu de sa saveur au moment même où elle est « consommée » et qu’il nous en faut, vite, une autre… ce film illustre avec enthousiasme et délicatesse la richesse qui émane du fait de faire vraiment connaissance avec l’autre.
Licorice Pizza est une antidote à la superficialité de notre monde.
Personnellement, j’en reprendrais bien une part.