« Faire péter la République » voilà le projet avancé par l’indic’ lorsqu’il rencontre pour la première fois ce journaliste de Libération.
Ce film, réalisé dans la plus pure tradition des films d’enquêtes journalistiques, se focalise sur la relation entre ces deux hommes. Le premier, l’indic’, interprété par un Roshdy Zem sans doute au sommet de son art. Je n’ai pas attendu ce film pour savoir qu’il avait un pouvoir puissant d’interprétation, ça non, mais ce qu’il donne dans ce film est de l’ordre du grandiose. Son jeu est épuré, on a le sentiment qu’il est là, devant nous, et « qu’il est ». Qu’il est cet homme blessé, vexé d’avoir été mis au ban, de s’être « fait baiser » par un homme placé dans les hautes sphères de l’Etat, et qu’il pensait être son ami, son frère. Ce film c’est en fait l’histoire de ces deux frères ennemis.
Mais le second homme du duo que j’évoquais est ce jeune journaliste d’investigation à Libé, ambitieux et déjà aguerri, qui se frotte aux errances politico-magouillesques de nos chers élus de la République et de ceux qu’ils placent à des postes clés pour faire régner la loi alors même qu’ils l’usurpent à tout va.
Et le film déroule. Tout. Et rien qu’on ne sache déjà vraiment mais l’on est happé par cette machination qui à la fois s’écrit sous nos yeux et en même temps nous semble familière mais nous échappe. Comment est-il sciemment possible de croire encore au bien fondé des actions des gouvernements successifs lorsqu’il est question de la gestion et de la répréhension du traffic de drogues. Traffic que l’on sait pertinemment être des plus lucratifs. Lucratif à la fois pour les malfrats qui en tirent les ficelles, et pour les autres parties prenantes de l’écosystème.
La trame de fond est justement cette odeur de corruption – un véritable sous texte tout le film durant – qui va bien au delà des simples partis politiques : le film n’est d’ailleurs pas un film politique, c’est un film étatique qui dit les dérives d’un « système » en place, qui ne fonctionne pas, mais que personne ne voudrait remettre à plat par peur de désorganiser toute l’architecture de notre société. C’est à ce point.
Et le film est intéressant pour ce qu’il dit du rôle de « l’homme » dans tout cela. De l’humain. On cherche tout à la fois à « faire tomber des hommes », comprenez les responsables des cartels (du coté des politiques) et de l’autre côté (celui des malfrats), ceux des organisations étatiques. Car il y a bien des hommes à la tête de ces organisations. Mais en fait, le film démontre l’anonymat de ces cartels (ici tout à la fois cartels de malfrats et cartels de politiques). Ce ne sont pas les hommes que l’on cible mais bien les organisations et c’est là que la dénonciation est la plus forte à mon sens. Les deux parties sont invisibilisées et il semblerait que ce soit là, la raison pour laquelle les scandales d’Etat en tout genre ne mènent jamais à des changements majeurs et radicaux. L’un travaille avec l’autre et pour l’autre et vice versa, certes en se faisant face, mais en fait les deux parties servent leurs intérêts respectifs.
C’est cette complexité si banale qui est mise à l’écran dans une mise en scène bien ficelée. Dès la scène d’introduction, pourtant très calme, on sent un contexte lourd et oppressant. Et jamais le film ne s’en départira. Le travail soigné effectué sur le son ajoute à cette atmosphère pesante.
Si le déroulé de l’enquête est palpitant, la scène de tribunal des 30 dernières minutes l’est tout autant. Ce face à face, entre les deux parties prenantes illustre l’inutilité crasse de vouloir aller au plus haut pour faire sauter quiconque qui aurait un lien avec le pouvoir. La chasse est bien gardée. Au mieux on éloigne un temps le nom écorné… Les révélations : oui… Les révolutions (au sens premier du terme, comprendre : les changements radicaux, les changements de systèmes) : non.
En bon film sur la parole, les scènes de conférences de rédaction sont d’une justesse saisissante. On pense bien évidement à Spotlight et on se réjouit qu’une telle verve soit visible au cinéma. Filmer la parole est bien souvent une gageure.
Bémol pour la fin, qui traine en longueur et est ratée à mon sens. Je comprends le point de vue de l’auteur qui est de mettre en lumière le rôle de l’indic. Mais ne le partage pas. Ouvrir sur la nouvelle enquête à venir et la tuerie dans la cité aurait été autrement plus puissant. Car l’histoire se répète, nous le savons, et personne aux manettes du pouvoir ne voudrait changer cela. On est bien et à l’aise que dans les histoires que l’on connait.