Ce 26 mai 2013 est pour moi un jour de joie et de frustration. Joie puisque j’ai eu, une fois encore, l’opportunité de vivre de beaux moments de cinéma et frustration car j’ai manqué la chance qui m’était donnée de voir celui – le film – qui est le grand lauréat du jour réalisé par un homme que je pense être un grand homme ou en tout cas un grand monsieur du cinéma.
Je parle bien sûr de La vie d’Adèle d’Abdelatif Kechiche, Palme d’Or de ce 66ème Festival de Cannes.
Mais reprenons depuis le début si vous le voulez bien. Je vous ai donc laissé hier à l’issue de la projection de Grand Central, film dans lequel j’ai retrouvé Tahar Rahim dans un rôle qui lui sied à merveille. Je n’avais pas réservé ma place pour la séance suivante qui se trouvait être La vie d’Adèle : séance complète pour ce film qui, les bruits de couloirs avaient déjà commencés, était bien placé pour l’obtention de la récompense suprême.
Ce n’est pas faute d’avoir essayé de me faufiler, je me suis d’ailleurs vraiment sentie dans l’ambiance du Festival auprès de ces gens tentant de récupérer une place de dernière minute. Rien n’y aura fait, impossible de rejoindre la salle de projection. Déception sincère. Retour à la maison.
Mais aujourd’hui était une nouvelle journée : une nouvelle journée de cinéma. Rendez-vous à 17h pour la projection de Jeune & Jolie, le dernier de François Ozon qui a créé la polémique en disant que – je cite dans le texte – « la prostitution était un fantasme pour les femmes en général ». Vous l’aurez sans doute compris, cela ne sortait pas de nulle part, il se trouve que son film raconte l’histoire d’une jeune femme de 17 ans qui se prostitue par « simple plaisir ».
Sujet périlleux. Moins fort à mon sens que son précédent Dans la maison, le film est néanmoins très réussi. Il donne à réfléchir sur cette difficile période de vie qu’est l’adolescence. La jeune actrice (encensé à Cannes et il y a de quoi) incarne la mélancholie propre à cet âge avec grâce, force et conviction. On y croit tout à fait. Que dire, que penser du sujet ? Le film ne donne pas d’explication sur le passé de cette jeune fille. C’est tout juste si l’on comprend qu’elle a un problème relationnel avec son père mais sans pour autant que cela soit la raison de son choix de se prostituer (on serait mal barré si toutes les jeunes femmes ayant un soucis de communication avec leur père se prostituaient…) La raison est ailleurs et l’on comprend assez vite, au fur et à mesure que le film avance, que ce n’est pas là le but premier de cette réalisation. Le sujet est plus vaste, plus dense, et vient surtout dénoncer les travers de la société de consommation qui nous ammène à croire que tout se vend, que tout s’achète y compris l’intimité et la sexualité.
Ozon filme le visage de cette actrice avec un respect assez incroyable, ce qui rend le film acceptable dans des scènes crues qui auraient pu donner lieu à une certaine vulgarité. Les passages d’ombre à la lumière qui reviennent souvent dans le film sont là pour nous rappeler que l’adolescence est un chemin de traverse qui compte bien des zones de naufrage et qu’il est plus facile d’emprunter ce chemin lorsque l’on se sait bien armé de sa famille et d’adultes solides.
Une belle réflexion donc sur la jeunesse, l’apprentissage de la sexualité, de l’amour des autres, et surtout de soi, au sein de cette société qui marchandise tout.
J’ai ensuite eu la chance de découvrir le palmarès depuis les sièges moelleux du Gaumont Opéra (qui fût un peu mon QG ce week end en fait). L’ambiance y était chaleureuse entre éclats de rire : avons-nous été les seuls à rire de la « performance » d’Asia Argento (qui je n’aime définitivement pas du tout) et émotion lors du magnifique discours de remerciement d’Abdelatif Kechiche ?
Quel plus beau symbole que cette Palme qui vient récompenser une histoire d’amour en ces temps où l’amour est mis à mal et conspué par des milliers de gens qui rejettent l’idée selon laquelle l’amour est universel, intemporel et surtout sans frontière – quelle qu’elle soit.
Pas le temps de souffler que le film de clôture commence : Zulu de Jérôme Salle, une fiction violente mais belle qui nous emmène dans les townships d’une Afrique du sud encore hantée par l’Apartheid. Orlando Bloom (j’avais oublié qu’il était aussi canon lui) et Forest Whitaker endossent le rôle de deux flics tous deux hantés par leurs démons personnels qui, en tentant de contrer un gang qui anéantit toute une partie de la population, parviendront à sauver leur âme et à trouver la paix. Du déjà vu certes mais un film réussi, fort et qui prend aux tripes, avec de surcroit, ce supplément d’âme.
Je me couche en tout cas avec la certitude que oui, nous avons désespérément besoin du Cinéma dans nos vies, de ce cinéma engagé, de ce cinéma qui crie haut et fort notre égalité par delà les idées arrêtées de quelques poignées de personnes mal dans leur peau et dans leur vie qui ont à coeur de rejeter ce qu’il ne comprennent pas.
Moi en tout cas, j’aime ce cinéma là et j’aime qu’il soit un miroir de notre société, pour toujours.
Deux extraits du film de Kechiche : La vie d’Adèle – Palme d’or 2013
Teaser Jeune & Jolie de François Ozon
Extrait / interview du réal Jérôme Salle, Zulu