Tout dans ce film respire la délicatesse. Et le propos n’en est que plus poignant.
James Gray a cette façon bien à lui de dire la famille. Au travers de son oeuvre et depuis plusieurs années donc, il n’a de cesse de rechercher le père. Tantôt perdu quelque part au milieu de la pègre, dans la jungle et même dans l’espace : il questionne cette relation complexe entre pudeur et besoin de confrontation.
Plus encore, cet Armageddon Time est un film sur la famille et sur les liens qui font une famille. Sans aucun doute sa catharsis tant ce film est le reflet de l’enfance qui fut la sienne.
« Paul Graff, c’est moi » semble en effet nous dire James Gray. Mêmes tâches de rousseur et même passion pour le dessin et la peinture, le réal new yorkais narre sa pré adolescence et l’émancipation qui fut la sienne dans une Amérique qui ouvrait alors ses portes au libéralisme.
Reagan est sur le point d’être élu et l’american dream est la nouvelle idéologie qui règne sur cette Amérique en quête de repères. Il faut conquérir le monde, tout est possible si tant est qu’on s’en donne les moyens… Certes mais à qui ces moyens sont-ils donnés justement…
Paul grandit au sein d’une famille aimante et privilégiée. Tous, au sein de sa famille, posent sur lui un regard assez adorateur et, sans être le pire des jeunes hommes de sa génération, il est un peu imbu de lui même. Loin des réalités de la société au sein de laquelle il grandit, il avance en se pensant le roi du monde et pense détenir la vérité. Il est très (trop ?) écouté.
C’est alors qu’il rencontre Johnny, un garçon de sa classe avec qui la connexion est immédiate. Ils semblent se retrouver dans leur joie à taquiner, faire des blagues. Dans leur soif de désobéissance aussi.
Johnny vit avec sa grand mère, qui a sa garde. Il devra bientôt la quitter car elle doit rejoindre une maison médicalisée. Le manque de famille alentour et le manque de moyens font qu’il devra être placé dans une famille d’accueil. Le fossé entre Paul et Johnny est déjà marqué par cette différence de cellule familiale.
Johnny est noir. Et dans cette Amérique puritaine, faussement libertaire et surtout raciste, ce n’est pas une donnée anodine. A ses côtés, son ami Paul va sortir de son monde favorisé, et toucher du doigt ce que cela signifie d’être mis au banc, rejeté, moqué…
C’est là que son émancipation se fera. Via un parcours initiatique porté par les échanges riches et dotés des traces d’Histoire de sa famille et cette amitié avec Johnny qui l’ouvrira sur les réalité du monde, lui permettra de se confronter à son père pour s’ancrer alors dans le monde. Au delà des désobéissances d’enfant, et pour aller vers ses propres choix.
Il y a un peu de manichéisme dans ce film, ne l’occultons pas. Mais c’est là une bien belle ode à l’apprentissage de la vie qui nous forge, de part l’éducation que l’on reçoit, puis par les rencontres que nous faisons. Reste la société qui nous entoure et les biais qu’elle nous impose. A chacun de garder un cap pour y évoluer en conscience, en connaissance de cause, sans oeillère mais toujours avec détermination.
Une vie se construit… si tant est que nous en ayons les codes et les accès.