Le film s’ouvre sur une scène de jeu qu’on aurait pu imaginer festive et légère. Il n’en est rien. La tension est pesante. Le ressentiment présent. Et déjà on est plongé dans un univers, une atmosphère – lourde – en l’occurrence. Et comme mis face à une sorte de tableau qui dépeindrait – dans un clair obscur sublime – une scène de vie quotidienne. Ambiance « Les joueurs de cartes ». Le réalisateur – Rodrigo Sorogoyen – montre, dès l’amorce de son film, qu’il utilise alors tous les atours du cinéma.
Nous sommes en Galice, au nord de l’Espagne dans un petit village. Un couple de français, anciens profs, se sont installés ici après qu’ils aient eu un coup de coeur pour la région. Une sorte de révélation et l’envie de changer de vie. Désormais, ils retapent donc la bâtisse qu’ils ont achetée et cultivent leur terre pour vendre leurs légumes sur le marché. Un choix de vie qui n’a rien à envier aux velléités bobo et « éco responsable » de beaucoup d’entre nous qui songe à la meilleure façon d’augmenter notre sobriété et de diminuer notre empreinte carbone. Objectif : autosuffisance.
En cela, le film dit les sujets majeurs de notre monde moderne qui nous engage à revoir nos priorités et surtout, nos habitudes de consommation alimentaire et autres.
Mais le propos du film ne se niche pas uniquement là. Il est plus grand.
Le film s’ouvre tel une fleur des champs qui aurait tant de choses à nous dire et à nous montrer. L’allégorie vaut ce qu’elle vaut mais le film, lui, se déploie dans une magnificence extrême pour dire – avec puissance et vérité – à la fois de façon visuelle (la mise en scène est exceptionnelle, le choix du plan séquence) que du point de vue du scénario, des dialogues et des sujets de fonds abordés tels que le couple, la relation hommes / femmes, mère / fille mais surtout les démons de la xénophobie qui toujours, ferme des portes lorsque le monde a tant besoin de compréhension, d’ouverture et d’écoute.
C’est alors une guerre de voisinage que le réal nous donne à vivre. Les deux frères qui occupent la maison voisine, avec leur mère, sont nés ici, ils savent qu’ils mourront ici. Pas de grandes échappées par ici. On nait pour cultiver la terre de ses ancêtres jusqu’à ce que mort s’en suive. Les plus élevés moralement feront alors de cet héritage une force et sauront y puiser dans la terre un ancrage réel et profond et sauront trouver le bonheur dans cette vie simple qui n’a de but que de vivre au rythme des saisons et de maitriser son lopin de terre.
Les deux frères ne sont pas de cet acabit, l’un meurtri par un accident, l’autre rongé par la haine et le ressentiment, ils ne trouvent aucune joie à vivre là, à vivre tout simplement, et voient en ce couple d’immigrés français, l’incarnation de tout ce à quoi ils aspirent en secret : la possibilité d’une autre vie, de faire des choix, de changer de territoire pour s’enraciner ailleurs et découvrir la richesse que cela procure… Rongés par la haine, ils ne voient alors en eux que des bobo dont l’unique but serait de leur voler leur territoire, de marcher sur leurs platebandes.
Les idéologies ne correspondent pas.
Plus encore qu’une guerre de voisinage, Sorogoyen (dont j’admire véritablement le cinéma) tire vers la véritable xénophobie et toute l’horreur que cette haine de l’autre peut engendrer de pire.
Pour dire et montrer cela, le réal use d’une grande connexion avec le réel. J’évoquais en amorce de cet article le fait qu’il utilise tous les atours du cinéma : cet art complet qui empreinte tout à la fois à la peinture, à la littérature, à la photographie… Et c’est alors que je me suis retrouvée face à un film qui m’a donné de grandes sensations, convaincue d’être face à un film vivant, très concret et ancré. Il n’en fallait pas plus pour me fasciner.
Et tout est à l’avenant. Les acteurs sont grandioses et fascinants. Le duo Ménochet / Fois fonctionne à merveille et l’insertion de cette « scène mère fille » est majestueuse. Les dialogues sont ciselés et le propos résonne au plus haut.
Que mon émotion fut grande ! Du grand, très grand cinéma.