Ce film est une expérience. Vous me direz que l’on peut dire ça de chaque film. C’est particulièrement vrai pour celui là. Adaptation du livre éponyme de Samuel Benchetrit – que je n’ai pas lu – ce film est une dystopie des plus réussies.
Aucune idée de l’endroit où l’on se trouve, aucun repère auquel se référer si ce n’est cette zone commerciale – lieu récurrent et angoissant où tout est à solder, à liquider comme si la fin du monde arrivait, et ce repère familial du personnage principal incarné avec brio et géni (au sens propre) par Vincent Macaigne qui joue ici un énième rôle de loser mi pathétique mi magnifique (Il excelle mais j’aimerais le voir dans un rôle à l’opposé de ceux là, il révèlerait alors le large éventail de sa palette de jeu j’en suis sure).
Chien est donc l’histoire de cet homme qui perd tout. Sa femme d’abord qui est devenue allergique à lui – au sens propre -puis son fils, puis son travail, puis sa vie et tout cela sans jamais tenter de se raccrocher aux branches.
Il sombre alors dans ce que notre vocabulaire imagé nous permettrait d’appeler une vie de chien. Pour au final et rapidement, en devenir un.
Loufoque me direz vous mais surtout totalement à propos. Et éprouvant car frontal et vraisemblable.
Benchetrit nous invite dans son film par le spectre du rire. Léger mais présent dans la première partie. Cette sorte de bouffon gentillet nous amuse. On le suit dans ses galères sans jamais qu’il ne perde cet air benêt. Rien ne semble vraiment grave.
Mais le shift se fait bien vite. À l’endroit même où il perd véritablement les pédales et voit son humanité réduite si ce n’est anéantie.
Là alors, le rire se fait jaune. La tension monte, la réalité nous rattrape tant elle colle à la pellicule et innonde l’écran.
Nous avons accompagné cet homme dans sa dégringolade familiale, sociale, humaine. Il n’est plus.
Benchetrit frappe fort avec ce film court, sans fioriture aucune qui dit la dangerosité de notre société capable de nous réduire à néant en moins de temps qu’il n’en faudrait pour le dire.
Il dit la difficulté de suivre le rythme effréné imposé par nos sociétés qui ne recherchent que la réussite, qui magnifie les gagnants mais n’accepte jamais la faille.
En voilà un film qui ne fait pas forcément « du bien » n’en déplaise à bon nombre de marketeux qui voudraient nous « vendre » des films « pansements » mais en voilà un film qui dit vrai et qui nous place face à une réalité. Et c’est là la raison de mon amour pour le cinéma – un art, ne l’oublions pas – et donc censé nous nourrir, nous parler.
Sur ce point, je rejoins les dires de Melvil Poupaud qui, dans l’émission Le Cercle disait son « ras le bol » face à cette injonction qui voudrait que nous n’allions au cinéma que pour nous « faire du bien ». Comprenons-nous, le but final est bien évidemment celui là, apprécier ce temps suspendu, il nous revient alors à apprendre à ressentir cela même face à un film difficile, parfois cru.
Je vous parlais la semaine dernière de Jusqu’à la garde qui est sans doute le film récent qui m’a le plus bousculée – en ce sens on ne peut pas dire qu’il m’ait « fait du bien » pour reprendre l’expression, mais il reste néanmoins l’expérience de cinéma récente la plus forte que j’aie vécue.
Mais revenons-en à Chien, le film qui nous intéresse aujourd’hui. Nous donner alors à voir l’évolution de cet homme simple, gentil, honnête, sans prétention et surtout dénué de toute forme de cynisme, se planter en beauté nous place de fait face à la dure réalité d’un monde sans pitié qui piétine les plus fébriles.
L’épilogue du film, soutenu par une voix off des plus touchantes, revient sur la place capitale de la nature, de la générosité dans nos vies ainsi que d’autres grandes théories du genre pour nous dire le besoin ultime et immédiat de renouer avec une forme d’humanité .
Il s’achève enfin sur notre héros, totalement déconstruit socialement et humainement puis reconstruit sous d’autres traits. Avec cette once de bonheur toujours présente, malgré tout.
Dystopique quoique effrayant.
Le film sera en salles mercredi 14 mars prochain.