Il y a une certaine lenteur qui court. Elle irrigue tout le film et dit cette période de transition, cette lente mutation qui opère au coeur même de la capitale.
Nous sommes à Barbès, quartier parisien qui incarne à lui seul la gentrification qui se profile à Paris et ses dynamiques spatiales intrinsèques. Ici, à Barbès on trouve tout à la fois l’un des plus beaux cinéma de la ville, le Louxor (cinema où j’ai d’ailleurs vu Goutte d’or, ndlr), mais aussi l’ancienne boutique Tati, l’entrée de la station de métro où cohabitent bon nombre de vendeurs à la sauvette, la brasserie Barbès qui cible principalement les bobo du coin et le début (ou la fin) du Boulevard Magenta qui mène jusqu’a la place de la République. A lui seul ce carrefour voit et vit tant de passages et regorge d’histoires de vies à raconter. Il dit tout de ce qu’est Paris aujourd’hui : un vivier en pleine métamorphose.
Ramsès est une âme de ce quartier. Il y vit depuis qu’il est petit et en est devenu une figure de proue. Comme son père, aujourd’hui retraité et âgé, le fut avant lui. Ramsès « a son coin de trottoir » et gère sa petite affaire avec pugnacité. Il est bien entouré et sait se faire respecter. Au début du film, son business prospère jusqu’à ce qu’il vacille. Il en faut peu pour perdre la face dans cet enfer moderne. L’arrivée de quelques jeunes venus d’ailleurs, et c’est tout l’équilibre du quartier qui s’en voit bouleversé.
Ramsès est medium. Du moins c’est comme cela qu’il est reconnu. La première scène – déjà pleine de cinéma, est d’une beauté sans nom et la caméra y filme… une grue en train de pelleter tout un tas de gravas. Il n’est pas impossible que mon cerveau ait extrapolé la chose mais j’ai alors vu en cette machine outil une sorte de personnage déifié, une espèce de statue ancienne qui personnifierait alors l’activité professionnelle de ce jeune médium.
Il reçoit dans son cabinet et toute la chorégraphie est parfaitement rodée. On se questionne tout de même l’espace d’un instant… Et s’il voyait, percevait, ressentait véritablement ces choses ? Il y a quelque chose de l’ordre de l’émotion dans ces scènes ou il dit – d’une voix si douce – à ses « patients » crédules, ce qu’ils veulent entendre. Et c’est très touchant. Risible par endroit mais émouvant avant tout. Face à l’adversité du monde, il reste encore des âmes capables de douceur… Ce serait là alors le message du réalisateur ? Cet artiste reconnu qu’est Clément Cogitore s’essaie à nouveau au cinéma et nous livre cette oeuvre d’une grande mansuétude, et pourtant directement ancrée dans les réalités violentes d’un quartier rugueux car replié sur lui même. Mais il fait le choix d’en montrer les femmes et les hommes qui le font, loin des représentations trop souvent caricaturales et schématiques que nous donnent à voir les media par exemple. Ici, Barbès, la Goutte d’or sont personnalisés et c’est alors non pas une violence stylisée qu’il nous donne à voir (ce qui aurait gâché tout l’intérêt du film), mais une réalité sociale jamais binaire où la violence est palpable car réelle, il ne faut pas la nier, mais jamais une fin en soi. Ces jeunes abimés par la vie n’ont bien souvent que la violence comme moyen de communiquer, dès lors qu’un regard honnête et droit est posé sur eux, le mode de fonctionnement change et l’humanité refait surface. J’aime que le réalisateur appuie cela.
Et puis il y a cette scène. Qui sort presque du cadre, qui nous perd. Pourquoi ? Comment ? Elle nous amène à nous demander si nous n’avons pas loupé un épisode… Cette phase est alors de prime abord déroutante pour finalement nous amener au coeur même du sujet. D’ou lui est venue cette idée de se dire médium ? Se lance t-on dans une telle affaire par pur hasard ? Tout le monde est-il en mesure de mener à bien ce genre d’activité ? Sans aucun doute non, il faut une grande qualité d’écoute, de profondeur même sans doute, de douceur… un calme olympien. Et lorsqu’on vit au coeur de cet environnement, c’est une gageur que de faire preuve de self control.
Ce personnage ambigu, ce charlatan à la petite semaine, c’est Karim Leklou qui lui prête des traits et il le fait avec le charisme et le naturel qui font sa force à chaque film. Ce comédien est d’une richesse de jeu sans nom. La luminosité qui émane de lui n’a d’égal que la douceur de son regard.
Il aura alors fallu qu’il s’égare pour mieux revenir à la vie, sans aucun doute. Cette larme qui ruisselle sur sa joue à la fin du film est un signe annonciateur de jour nouveaux et meilleurs. Les générations s’envolent, les quartiers évoluent, les tendances passent… que le coeur et l’âme humaine résistent. Ce sera là notre salut.
Et me vint alors ce souhait : que cette Goutte d’or reste son royaume, encore pour un long moment.