C’est l’histoire d’un jeune homme qui rêve de Paris, de salons littéraires et de succès. Ou est-ce le portrait d’un homme qui, depuis sa Province natale « a le gout de la beauté » ? Ou est-ce peut-être encore le récit de la création du Libéralisme économique ?
Illusions perdues est tout cela et même plus encore.
L’adaptation, libre, du roman de Balzac par Xavier Giannoli est une pure merveille tant elle mêle beauté, rigueur, fougue, vérité… et ce, sans aucune sensation de compromission.
Je m’explique.
Illusions perdues – du même nom que le roman d’Honoré de Balzac (que j’ai étudié pour le bac et qui fut « mon premier gros pavé ») dit tout du glissement de société engendré par l’apparition du capitalisme. Et ce n’est pas rien tant ce mouvement – si tant est qu’on puisse parler d’un mouvement – a engendré une réelle modification des comportements. Désormais tout devait se vendre, se marchander et l’on chercherait à créer le besoin, l’envie, l’attente. Et c’est alors que l’on allait perdre le sens même de la beauté, l’innocence de la créativité sincère. Désormais il conviendrait de produire toujours plus et peu importe que la qualité soit au rendez vous puisqu’avec le bon mot, la bonne tournure et le budget afférent : tout pouvait alors devenir « œuvre ».
La narration du film est de l’ordre de la pure réussite. Moi habituellement peu friande de voix off, celle ci donne corps au propos du film et permet encore davantage d’incarner le propos. Elle donne une aura au film et à ce qu’il dit.
Lucien de Rubempré est un jeune homme de vingt ans qui a des rêves de grandeur. Pour lui, mieux vaut rater sa vie à Paris que la réussir ailleurs. Mais que signifierait d’ailleurs le fait de « réussir » sa vie ailleurs ? Il cherche un éditeur et veut mener la grande vie. C’est alors au gré de ses rencontres qu’il intègrera « le milieu » pour en devenir l’épine dorsale, et finalement s’y perdre.
Car ses valeurs, sa morale tout entière se retrouveront engloutis par l’inhumanité du milieu dans lequel il aura évolué.
Illusions perdues dit la perversion des pouvoirs d’argent qui sucent le sang de la fibre artistique et le film de Giannoli dit et montre cette réalité dans une mise en scène splendide, vivante et vivace qui m’a réjouie !
Ca virevolte, ça crie, ça parle fort, ça rit, ça médit, ça vit !
Les acteurs sont tous géniaux et on sent leur plaisir à interpréter leur rôle. Et tous fonctionnent tellement bien ensemble. Un pur plaisir de cinéma ! De Benjamin Voisin au charisme délicat, tantôt insolent et tantôt si penaud à Cécile de France toute en retenue et en retrait en passant par un Xavier Dolan sensible face à un Depardieu qui prouve qu’il n’a pas encore tout dit ni tout montré. Et Vincent Lacoste en parvenu redoutable… Tous sont exquis dans cette variation du roman plus vraie que nature.
Illusions perdues dit la complexité des relations humaines, le besoin de faire parler de soi, de faire le buzz dirait-on aujourd’hui. Il dit surtout les dérives d’un ordre établi qui dicte une vérité, un chemin à suivre qui veut empêcher toute anarchie… C’est en fait une radioscopie de nos sociétés qui viennent, par le prisme de puissances médiatiques aux mains de puissances d’argent (ces grandes familles qui, aujourd’hui encore, détiennent les média que nous lisons) dicter ce qu’il faut aimer, détester, voir et ne pas voir, penser ou encore voter… Cette fameuse opinion publique que l’on peut forger, amalgamer à sa guise.
Balzac a en fait vu l’avènement de notre société moderne.
Illusions perdues a le chic d’être un film grandiose à bien des égards mais de faire preuve d’une simplicité confondante : la force des grandes oeuvres.
Si certains voient dans cette adaptation une mise en parallèle trop simpliste avec les réalités de notre société actuelle, je dis que ce film nous offre la possibilité de penser à cette dernière, de se questionner aussi et de se demander quel sera le prochain tournant, le prochain glissement de société.
Que tombent les masques ! Le capitalisme est souffrant, à bout de souffle. Il est temps d’inventer la suite.
Et si revenait alors au goût du jour et « à la mode » ce si fameux « goût de la beauté ». Xavier Giannoli oeuvre en ce sens.