Joker est un grand film. Non content d’être un bon film. En ce sens où il compte.
Ce qu’il faut dire de prime abord c’est qu’il est d’une noirceur totale. Infinie. Sans commune mesure avec ce que l’on voit au cinéma ces derniers temps, surtout outre Atlantique, tant il dit toute l’obscurité de nos sociétés.
Joaquin Phoenix – qui ne fait jamais les choses à moitié – livre ici une performance intense, sans concession, à la fois fantasmagorique et ultra incarnée. Il est cet homme déclassé, solitaire, malade, extrême et à bout de souffle. Il tend alors à nous dire – à illustrer plutôt car le film ne dit pas grand chose, il cherche à montrer, à définir, à matérialiser la folie de notre monde capable d’engendrer des fous, des extrêmes(istes). En ce sens j’ai pensé aux révoltes actuelles qui se répandent à travers le globe – à nos gilets jaunes, aux conflits armés, mais aussi aux extrémismes divers qui sévissent. La noirceur à chaque étape, à chaque étage. C’est cela qu’incarne Joker.
A la façon d’un film tel que Requiem for a dream, Joker est une escalade vers le bas. Une descente aux enfers. Si j’ai mis un peu de temps à entrer dans le film – tant de folie de prime abord, ça invite à faire un pas de recul – le film a tout de même très vite fait de m’engloutir. La mise en scène y est pour beaucoup. Pour tout en fait. Elle dit la puanteur de notre monde qui glorifie la richesse, les apparences et la violence pour laisser les plus faibles sur le côté du chemin. Binaire ? Justement, jamais. Le propos, s’il est dit de façon abrupte et sans commisération, est d’une lucidité confondante et implacable. Très étonnant pour un film américain. La trilogie de Nolan, que j’aime tant (surtout TDKR, le 3ème volet qui me surprend et me retourne encore aujourd’hui après 12 visionnages) semble tout droit sortie du monde des bisounours à côté. Avec son « imaginaire » post 11 septembre et ses élans humanistes (à la fin) sont à mille lieues de cette version contemporaine, plus urbaine encore et surtout plus incarnée. Nul besoin ici d’apprécier l’univers DC Comics / Batman pour plonger dans l’univers de ce film, il vous parlera forcément puisqu’il s’agit d’un instantané qui met en lumière les maux de notre société actuelle, pas celle d’hier ou de demain, celle d’aujourd’hui, de tout à l’heure, de ce soir – d’une acuité parfaite.
De Niro est de la partie et il est vrai que l’on pense à Taxi Driver (ce n’est pas de moi, je l’ai lu par ailleurs) : cette ville poisseuse, cette incandescence malade et angoissante… Ce goût de fin du monde.
C’est tout le travail de gestuelle accompli par Joaquin qui marque mais une scène me reste en mémoire car elle résume tout. Cette scène de danse dans les escaliers. Elle dit la folie de l’homme, l’agenda qui est le sien, la catastrophe qui nous étreint déjà.
C’est glaçant et sévère et c’est le rôle de l’art et du cinéma que de tendre le miroir même si la plaie est béante et que ça remue de voir la misère, la noirceur et la brutalité en si gros plan.