Lors d’une fête mondaine, la jeune Antonina Miliukova rencontre le compositeur Piotr Tchaikovsky. Instantanément, elle en tombe amoureuse. Eperdument.
Le film signé du réalisateur russe Kirill Serebrennikov dont je découvre le cinéma avec cet opus, raconte cette rencontre et la relation qui s’en suivra. Faite de haine et de silences. C’est de chaos dont il est bel et bien question. Jamais d’amour.
D’abord apeuré par l’approche frontale de la jeune femme, le célèbre compositeur reviendra sur sa décision et verra en ce mariage la possibilité d’une vie rangée qui lui permettrait alors de se concentrer sur sa musique et de mener à bien ses diverses obligations sociales et conventionnelles. Car, sans jamais que cela ne soit dit, Tchaikovsky était homosexuel : « Je n’ai jamais aimé de femme jusqu’à présent et ce n’est pas prêt de changer », lui dira t-il alors qu’elle lui avoue ses sentiments. La messe est dite mais cela n’arrêtera pas cette chère Antonina qui voit sans doute dans cette affirmation, un challenge qu’elle est prête à relever. La jeune femme se fixe alors la mission de rendre cette passion qu’elle éprouve, commune, et ne se lassera de dire et répéter à l’envie, à qui veut l’entendre qu’elle est « la femme de Tchaikovsky ».
Mais on ne créé pas un couple sur des faux semblants. Antonina a cru dur comme fer à la possibilité d’un amour avec cet homme pour lequel elle ressent une passion sans que cette dernière ne soit avérée, encore moins possible.
On la voit alors se consumer à petit feu. Elle se perd dans la folie de cet amour qui n’existe pas et dans lequel elle se jette à corps perdu. La réalisation exprime cela via une mise en scène qui crépite, qui bouge sans cesse comme pour signifier l’épuisement auquel elle se contraint. L’écriture d’une lettre d’amour dont on imagine le contenu mis en exergue par un feu de cheminée qui crépite…. Ces plans presque coupés dans lesquels on ne voit pas toujours l’intégralité des têtes comme pour exprimer le trop plein d’émotions néfastes qui pullulent…
La mise en scène est magistrale et dit tout de cette sombre descente abyssale. Plutôt que de vivre son amour, de le nourrir, c’est dans une tourmente sans nom que sombrera Antonina en proie à des tourments nymphomaniaques, paranoïaques et dépressifs. Rien de réjouissant à l’horizon.
Mais au coeur de ce marasme, ce que montre le réal c’est une femme qui se bat. Une femme qui, malgré tout, se veut maitre de son destin. Elle est à l’oeuvre, aux manettes. En cela le film – bien que d’époque, n’apparait jamais comme étant daté. Il dit les velléités d’une femme en proie à une passion dévorante qui la consumera : de cet idéal de l’amour du début jusqu’à la folie dévastatrice de la fin. Un parcours de vie marqué par l’amour qui brûle, et tue.
La femme de Tchaikovsky est un film profondément vivant, vibrant. Plein d’un clair obscure sublime qui dit les passions contraires qui étreignent les deux personnages. L’une mue par l’unique but de rendre son mari amoureux d’elle, lui par celui de créer un cocon autour de lui afin de composer la plus belle musique qui soit : l’unique but valable de sa vie. Face à un tel manque de raccord, nulle doute que l’entente entre les deux ne puisse jamais voir le jour. Ces deux personnages sont antinomiques, aux antipodes d’un même monde.
Kirill Serebrennikov nous livre alors ici l’empreinte d’une histoire romanesque à l’issue fatale, digne des plus grands récits de la littérature russe. Aux contours et aux atours sublimes, mais profondément triste, sans espoir, perdu d’avance.
Non pas une histoire d’amour, mais bel et bien une histoire de haine.
Aussi grinçant et sombre que la musique du compositeur est fluide et lumineuse.