The Zone of Interest de Jonathan Glazer, Grand Prix au festival de Cannes 2023.
Lorsque le cinéma m’attrape…
Ma plus forte expérience de cette édition cannoise.
Sans même savoir ce que j’allais voir, ce film m’intriguait. Le nom de son réal et ce film sans doute… Film que je n’ai pas vu, mais qui fait beaucoup parler de lui et charrie avec lui un imaginaire assez impressionnant : Under the skin. Je savais que cette projection ne serait pas banale.
Ce film fut donc le quatrième de ce J3 cannois. Et je m’en souviens comme si c’était hier. Voir 4 films dans une journée, c’est une vraie expérience. 4 films distincts, qui n’ont rien en commun, tout parfois, mais sont de formes si diversifiées qu’il est parfois difficile de tout imprimer. Le cerveau ne semble réagir qu’à ce qui est véritablement fort, différent, marquant…
Ce sont donc pas mal d’images qui se mélangent dans ma tête et tout autant de sensations.
La lumière s’éteint. Le Carnaval des animaux retentit. Le film débute.
Déjà, cet écran noir m’intrigue. Il ne bouge pas, trois minutes durant. Accompagné d’un sourd fond musical. Le réalisateur instaure une tension. Une atmosphère particulière qui habitera le film du début à la fin.
Malgré tout, au début, je ne suis pas véritablement dedans.
Et puis soudain, je bloque. Je veux comprendre. Où suis-je ? Qui sont ces gens ? Si je comprends qu’il s’agit de la famille d’un officier nazi, je ne réalise pas dans quel cadre le film s’instaure ni même ce qui se trame.
Et puis je sursaute. J’ai saisi. Ce sont au final les bruitages (excellent travail réalisé au niveau du son) et quelques éléments alentours qui font que la réalité me saute aux yeux. Ce qui se trame est hors champs. Tout près mais très loin. Le film traite son sujet (la shoah) avec brio, sans jamais montrer la shoah. Il joue en fait avec notre connaissance du sujet (les images que nous avons tous vues dans les livres d’histoire ou dans des documentaires) et la puissance et la force du propos n’en sont que décuplés.
Ce procédé scénaristique est d’une ingéniosité sans nom. Je bois chaque parole, je me délecte de chaque plan et de tous les moments qui font ce film. Tout est infiniment coordonné et maitrisé. Je suis emportée.
J’apprécie tout particulièrement l’insertion d’images qui semblent issues de dessins réalisés au crayon qui permet à l’histoire de se mettre à portée d’enfant. Cette petite fille bercée par les histoires que lui lit son père. Concrétiser et humaniser son imaginaire de la sorte est un procédé cinématographique ingénieux. Tout le film, qui n’est que mise en scène (et atmosphère), est à l’avenant.
Ce grand film vaut pour sa démarche artistique et pour sa force de frappe. On ne sort pas indemne de The Zone of Interest, qui traite pourtant d’un sujet dont on a sans doute tout dit (sans tout voir, tant c’est insurmontable).
Enfin, au delà de cette maestria scénaristique et technique, j’aime que le réal m’ait fait détester le personnage de la mère (incarnée par la même Sandra Huller qui joue dans Anatomie d’une chute). J’ai en tête bien plus de personnages aimés que détestés et j’aime que le réal ai osé cela. Et que l’actrice ait été jusqu’où elle va pour incarner cette femme à mon sens nauséabonde, qui se laisse vivre dans son petit confort de vie, avec des oeillères bien ancrées, faisant fi de la réalité qui l’entoure. Cette réalité pourtant là, à ses portes…. Derrière ce mur.
Si elle me révolte tant, c’est bien parce qu’elle m’évoque grandement mes propres lâchetés. En cela, ce film ni vraiment fresque historique, ni « thriller nazi » frappe fort. Il dit tant de nous, de notre 21ème siècle, sous couvert d’être un film historique. Il dit de façon si juste et effrayante notre si grande capacité à détourner le regard…
De la puissante force de frappe du cinéma, au travers des âges.