Paul Kircher : comme j’ai envie de retenir ce prénom et ce nom.
Sa façon de se présenter à nous, déjà, m’a tant plue. Face caméra, entre scène de théâtre et séance de thérapie, il nous signifie qu’il a quelque chose de l’ordre de l’intime à nous narrer. De suite, on repère sa grâce. Et ensuite cette voix, assez nasale ou qui vient du fond de la gorge je ne sais pas au juste – j’ai en tout cas eu la sensation de reconnaitre ma façon de parler lorsque j’ai une angine blanche et que toute ma gorge est serrée, irritée et gonflée ! Un ajout à sa grâce.
Il est le héros du nouvel opus de Christophe Honoré qui a vu en lui le personnage idoine pour nous dire ce pan de sa vie, cette période compliquée, douloureuse et à vif suite à la mort accidentelle et donc brutale de son père. Une fois n’est pas coutume, Christophe Honoré nous parle de lui, de son parcours de vie.
Les films se suivent et ne se ressemblent pas forcément, mais force est de constater qu’ici encore il est question d’une possible catharsis via le cinéma. Christophe Honoré narre ici – avec conviction et maestria du cinéma – une époque, une tranche de vie, une émancipation aussi, le passage d’un état à un autre, d’un âge à un autre.
J’en reviens encore à James Gray et à cet entretien durant lequel il disait à quel point chaque réalisateur se sert – au moins en substance – de son vécu, de son passé ou de son présent, et met dans chacun de ses films un once de lui même et de sa vie. Sans pour autant que le but recherché soit la catharsis.
Quand on y pense, c’est ce que chaque artiste – peintre, écrivain, sculpteur, danseur, musicien, architecte et j’en passe met dans son art : tout au moins une part de soi. Sans pour autant que l’objectif recherché soit cathartique.
Christophe Honoré endosse ici le rôle de son père et c’est le choix de cette autre focale : on grandit et un jour, on prend la place de nos parents, qui rend le film encore plus touchant et pertinent. A aucun moment il ne donne le sentiment de vouloir narrer une affaire personnelle, mais il nous livre bel et bien un film de cinéma – toujours sur le fil et très maitrisé, à aucun moment ne versant ni dans le pathos ni dans un sentimentalisme exacerbé. Le montage est enlevé et dynamique et ce choix de style y est pour beaucoup dans la réussite de ce film.
C’est ce qui m’a plu. il m’a touchée au plus haut point, il m’a émue, sans pour autant que je ne sois submergée par des larmes. Elles sont montées à un seul moment avec cette phrase : « Tu vas t’en sortir mon fils », à un moment charnière du film qui verra la chute libre de de jeune garçon ayant perdu tout éveil à la vie. La puissante neutralité de cette phrase est d’une justesse dans nom. Elle dit tout l’amour d’une mère, à la fois irrationnel car basé sur un amour immense et inné, mais en même temps extrêmement ancré. Une maman sait tout, sent tout. Juliette Binoche est ici impeccable et endosse le rôle avec brio.
La relation entre les deux frères m’a également beaucoup plue. Entre dureté et amour tendre indéfectible : j’aime qu’ils puissent se claquer la porte au nez pour se retrouver quelques heures plus tard, un bouquet de fleurs tendu. Tout est à l’avenant, délicat, tendre mais jamais mièvre. La réalité de la vie et d’un quotidien soudain perturbé est là, portée à l’écran et toujours terriblement réaliste.
Une gageure lorsque l’on raconte sa propre histoire. Mais Christophe Honoré sait y faire. Il n’est est pas à son coup d’essai. Il nous livrait en ce début d’année une pièce vue à l’Odéon qui m’a – pour le coup – extirpée bien des larmes alors que je venais de perdre un membre important de ma famille. Il y disait les coups de gueule et les coups de sang, mais d’amour aussi, de ses aieux et signifiaient l’importance de toutes ces traces qui nous sont laissées. Ces traces qui font une descendance, un clan et autant d’empreintes dans lesquelles mettre nos pas.
Reste ce quatrième personnage clé. Lilio, le colocataire du grand frère, à la fois modèle amoureux, amical pour Lucas dont la douceur et le charisme le toucheront. La relation, là aussi, est tendre, et belle.
Une transcendance initiatique portée à l’écran, sans fioriture mais en offrant un frémissement constant.
De l’art de transcender son passé pour dire une succession d’états. Du cinéma vivant à son plus haut.