76 jours que les salles de cinéma ont à nouveau refermé leurs portes.
Entre le 15 mars et le 22 juin de l’année passée, elles étaient restées closes 99 jours. Ca commence à chiffrer. Ca commence à peser. Lourd. Sur le portefeuille des exploitants, des distributeurs, des attachés de presse, des guichetiers… Et sur leur moral… et celui des spectateurs.
Car s’il est une chose que je sais, c’est que la salle de cinéma recèle des pouvoirs énergisants et galvanisants qui ne sauraient être comparés à d’autres (si ce n’est tous ceux propres à la culture comme le fait de lire un livre, écouter une musique, voir une peinture, un dessin ou une sculpture)…
La salle de cinéma – comprenez l’expérience de la salle de cinéma – offre une immersion de laquelle rejaillit une véritable compréhension de ce qui nous entoure. Un plongeon dans le monde salvateur et enrichissant.
Pour moi, la salle de cinéma est le seul lieu au monde capable de me couper du monde. Pour moi qui ai les yeux et les doigts rivés sur mon téléphone, elle est le seul endroit où je suis déconnectée : pas d’appel, pas de réseau sociaux. Je suis off et m’extrais du monde l’espace du temps du film. C’est en fait (presque plus encore que lorsque je dors) le seul moment où je casse ce contrat moral que j’ai fait avec la société de rester connectée au monde qui m’entoure, et qui me tient tant à coeur. Rien de plus négatif pour moi que d’être en retrait, en vase clos ou détaché.
Encore qu’il faille comprendre les raisons d’un tel attachement et surtout comprendre comment gérer cette connection. Rien de pire que de gober l’information – qui va à tout va de surcroit – quitte à nous laisser exsangue. Non, ce qu’il faut c’est justement prendre la bonne information, la réfléchir, la mastiquer… la digérer.
La salle de cinéma permet cela. C’est ainsi le seul endroit qui, concrètement, vous coupe du monde pour vous y faire revenir de plus belle avec un sentiment de pleine conscience. Car le cinéma nous fait comprendre le monde : les relations humaines, les échanges, les chutes, les réussites, les exploits, les destins… et la salle de cinéma nous fait vivre le monde et toutes les choses du monde.
Le très bel édito du numéro de décembre 2020 des Cahiers du cinéma convie Peter Handke et dit (superbement bien) « ces merveilleux retours à la maison » et le cinéma qui n’est pas une reproduction de la réalité mais un « oubli de la réalité » qui permet alors de s’en extraire pour s’y replonger encore plus armé et préparé par les images qui ont défilé sur l’écran quelques instants auparavant.
N’avez vous jamais fait l’expérience, une fois sorti de la salle, de vous sentir encore un instant dans la peau d’un personnage que vous avez particulièrement aimé ? Dans l’ambiance d’une musique qu’un film vous a fait découvrir ou re découvrir ? Dans l’ambiance d’une scène… C’est ce sentiment là qui prévaut et que je ne parviens pas à retrouver lorsque je regarde un film chez moi. Aussi grand soit l’écran. L’expérience n’est pas la même lorsqu’on se lève de son siège et que l’on reprend ses affaires et lorsque l’on ferme l’ordi ou appuie sur le bouton off de la télé.
La richesse de l’expérience de la salle vaut ainsi à la fois pour l’experience immersive qui se vit en collectivité et pour ce qu’elle nous offre à voir du monde qui nous entoure à la sortie du cinéma.
Mon dernier retour à la maison sublimé par le cinéma date d’octobre, à la veille du reconfinement, je suis allée voir DRUNK, le film le plus lumineux que j’ai pu voir depuis longtemps. Il a tant résonné en moi et fait écho à la façon dont j’appréhende la période perturbante que nous vivons actuellement et qui nous fait perdre nos repères. Il a également eu un effet de catalyseur. Il m’a donné des réponses, m’a apporté un certain apaisement et comme une approbation du besoin que nous avons de vivre pleinement. La fougue du personnage incarné par Mads Mikkelsen m’a galvanisée, la musique m’a touchée au coeur et je l’ai écoutée en boucle sur le chemin du retour que j’ai fait à pied, pour profiter au maximum de cette liberté qui m’était alors donnée de déambuler dans les rues de la ville passé 20h.
A ce moment là je peux le dire, le cinéma m’a alors permis de vivre pleinement. Il m’en a en tout cas donné la sensation.
Rendez-nous ça. Le plaisir, le bonheur de ressentir. La richesse de comprendre les choses de la vie. C’est immatériel mais c’est essentiel.