C’est un peu elle la véritable Barbie !
Bella Baxter est une créature articulée quelque peu désynchronisée mais dotée d’une véritable puissance de vie.
Elle est l’oeuvre d’un scientifique renommé – incarné par le très juste et touchant Willem Dafoe, une sorte de Frankenstein qui aurait développé des sentiments paternels vis à vis de sa création. Il la ressuscita après qu’elle se soit noyée, en lui greffant le cerveau de l’enfant mort qu’elle portait en elle au moment de la noyade. Tout un savant mic mac !
Un cerveau de fœtus dans un corps de femme donc. C’est ainsi que cette Bella nous apparait au début du film. Et telle une intelligence artificielle que l’on nourrirait d’informations pour qu’elle évolue – ou un enfant que l’on éduquerait, c’est selon – nous traversons le film au grès de ses apprentissages.
Et ils sont multiples ! ils vont du fait d’apprendre à soulager sa vessie à l’abri du regard des autres, à ne pas frapper une personne que l’on rencontre pour la première fois, en passant par la découverte de ses organes génitaux et du plaisir qu’ils peuvent procurer, à la lecture ou encore la richesse des voyages… Pour finalement parvenir à une maitrise quasi parfaite de la parole et de la réflexion. Bella passe de créature minimaliste à philosophe !
Au milieu de tout cela, une question centrale : quel impact ont les codes sociaux sur notre condition humaine. D’autres ce sont posé la question avant et nous en avons tous fait l’expérience ! Quel serait notre quotidien, aurions-nous seulement encore des amis ou une quelconque vie sociale si nous disions tout haut ce que la bienséance nous empêche de dire voire même de penser. L’arbitrage est pernicieux et délicat pour certains, plutôt naturel pour d’autres, c’est selon le caractère de chacun en somme. Ce qui est sûr c’est que notre condition de pauvres humains nous incombe de lutter en permanence contre nos envies de nous lâcher pour dire ce que nous avons sur le coeur et qui pourrait blesser, choquer ou heurter l’autre ; et notre incapacité à nous lâcher véritablement, à être nous mêmes et à se faire accepter, s’imposer comme tel.
Du difficile équilibre entre le fait de vivre en paix avec l’adulte responsable et poli (du verbe polir, poli par la société et ses codes) que nous sommes, et parvenir à garder notre âme d’enfant et tout le naturel et la béatitude qu’elle englobe.
Emma Stone, encensée pour ce rôle et en lice pour les Oscars, incarne cette Bella avec grâce et talent, sans pour autant m’épater. Si elle joue sa partition sans faute, je ne suis jamais véritablement emportée. Je sais pourtant laisser libre court à mes émotions face à un film, c’est la raison pour laquelle j’aime tant le cinéma ! Tant il me permet de déposer les armes que j’ai naturellement mises en place, cette « armure sociale » qui nous enserre tous. Face à l’écran, je suis moi même tout à la fois hors du monde et connectée au monde et à l’humanité comme jamais. Ici, si le sujet du film me plait plus que tout, l’écrin que représente le film en lui même me tient à distance de part son manque de légèreté et ce, à bien des égards.
Visuel déjà. Et cet aspect n’est pas des moindres pour me tenir hors du film. Comme mes rétines ont souffert ! L’usage du fish eye qui déforme chaque plan ou presque, en passant par ces univers crées de toute pièce, ces décors et ces lumières chargés. Merci le carton-pâte. C’en est trop ! Le côté grisaille grisâtre de The Lobster était o combien plus qualitatif et recherché.
Thématique ensuite. Qu’on foute la paix aux femmes ! Je suis déjà fatiguée de ces films qui viennent gentiment nous rappeler que c’est ok pour une femme de ne pas souhaiter avoir d’enfant, qu’elle peut disposer de son corps comme elle le souhaite, qu’elle peut choisir n’importe quelle voie… Nous vous remercions. Si nous ne l’avions pas, nous le prendrions ce droit. Je ne doute pas une seconde des bonnes intentions de ce cher Yorgos Lanthimos mais n’ai pas de sympathie pour ce type d’oeuvre socio-bienfaitrice. Je lui reconnais cependant le fait d’aller jusqu’à la provocation et de ne pas limiter son propos comme par exemple via le personnage interprété par Mark Ruffalo (très très bon, mon personnage favori d’ailleurs) proche de la caricature mais surtout si proche de la réalité ! Sa propention à aller jusqu’à la radicalité lorsqu’il est question de sexualité est également à saluer.
Social et politique enfin. Le film nous emmène de Londres à Paris en passant par Lisbonne et Alexandrie où Bella est confrontée aux réalités d’un monde scindé en classes, en castes. Le tout me donne le sentiment d’une satire sociale baroque un peu facile.
Restons calmes, Pauvres Créatures ne fera péricliter ni le capitalisme ni le patriarcat. Reste cette femme qui en a fini avec sa condition de « simple créature ». Elle est à son tour devenue créatrice non pas en enfantant par son corps mais par le biais de toute sa réflexion, de toute la connaissance qu’elle a emmagasiné. Un projet à elle, librement mené. Une fin qui parviendrait presque à sauver un film qui m’est tombé des mains, pauvre créature normée que je suis.