Ce n’est pas du fantastique qui s’immisce dans ce conte dont je souhaite vous parler en premier lieu, même si – bien sûr – c’est bel et bien cet aspect qui est le socle du film. Non, ce dont je voudrais déjà vous parler c’est de la façon dont Céline Sciamma filme les corps, filme l’enfance ici, à nouveau.
J’ai vu le film vendredi soir, j’écris ces quelques lignes dimanche après-midi et ce qu’il me reste de plus fort du film c’est en fait une démarche. Toute à la fois assurée et peu rassurée, une démarche à la fois claudicante et tellement bien ancrée.
On le sait, Céline Sciamma vient du scénario. On ne le redira pas, elle maitrise cette partie à la perfection, elle sait dire des histoires, les mettre en lumière, en action, elle sait trouver les mots, les bonnes saillies, de celles qui nous laissent en mémoire des lignes de dialogues.
Ce que l’on salue moins je trouve et elle le confirme pourtant plus fort encore à chaque film, Céline Sciamma filme comme personne. Le regard qu’elle pose ici sur ces deux petites filles est empli d’une palette folle d’émotions. Et je découvre encore davantage et plus fort à quel point le cinéma est un art multiple. Certes le scénario en est la première brique, mais un film est fait de tant d’autres éléments. Le cinéma c’est l’image, que l’on anime et c’est surtout ce mouvement, cet usage de la caméra que l’on fait et qui dit la substance d’un film.
Ici, oui bien sûr – et je commençais d’ailleurs par cela – c’est cette volonté d’inscrire ce récit d’enfance dans le fantastique qui est le marqueur mais si l’on s’arrête à cela, le film peut sans doute sembler lent, triste, pesant même. Il faut à mon sens prendre la hauteur nécessaire pour vivre cette fable. La vivre en faisant revenir à la surface nos propres souvenirs d’enfance, ce qui nous animait, nous donnait ce vent de liberté, cette envie de découvrir ce qui nous entourait… ces lieux inconnus (qu’il s’agisse de la fôret, de la maison d’à côté, de cet endroit secret « là-bas »…)
C’est ce qui m’a plu et tant touché dans ce film. La façon dont Céline Sciamma, par la truchement de son regard, parvient à convier tant d’émotions et à dire si fort l’enfance. Elle avait déjà initié la chose avec son Tomboy en anglant différemment et dit la puissance de l’adolescence en filmant si superbement sa Bande de filles.
Céline Sciamma est une cinéaste du mouvement des corps. Avec elle, le cinéma vit intensément, il bouscule la rétine avec seulement un nombre très limité de plans, et touche au cœur pour la palette d’émotions qu’elle charie.
Ici précisément, si je devais également garder un souvenir fort du scénario et de la façon de dire la filiation, ce serait cette délicatesse à décorréler l’amour « aveugle » et charnel qui unit un enfant à sa mère pour dire la possibilité d’un amour « objectif » pour ses parents. En cela, la fin du film m’a profondément touchée. Cette petite Nelly, en ayant vécu cette expérience fantastique de rencontrer sa propre mère à l’âge de 8 ans, découvre qu’elle aime sa mère en dehors du « simple » fait qu’elle soit sa mère. Ça semble alambiqué, j’en ai bien conscience. Sa mère n’est alors plus uniquement « maman », elle est aussi « Marion » porteuse de son propre passé, de sa propre histoire… Et par cette rencontre, par le fait d’être allée plus loin dans la découverte de sa maman, l’amour filial dont je parlais n’en devient que plus fort.
Une délicatesse si puissante.