Si Armageddon time offrait la part belle à la relation au père, Saint Omer traite, largement et par bien des aspects, de la relation à la mère.
Dans le titre déjà, entendez vous cette ode « Sainte, ô mère » lancée tel un cri du coeur ?
Ce film est d’un classicisme total de part la forme qu’il emploie : celle dite des films de procès. Et cette mise en scène dénuée de tout excès – un plan fixe et c’est tout – donne lieu à une analyse précise de la gestuelle de la personne filmée.
Se tient alors face à nous, debout, les mains bien ancrées sur le bord du prétoire, l’accusée : une jeune femme infanticide. Plus encore que ses mains positionnées comme si elle se tenait sur la proue d’un bateau, c’est son regard qui m’a marqué. Ferme, ancré, les yeux rivés, elle est pleinement là mais aussi pleinement ailleurs : toute à ses tourments qui lui reviennent alors en mémoire à mesure qu’elle livre le récit des deux années ayant précédé le drame et le procès.
Ce film dresse en parallèle le profil d’une jeune prof de lettres et écrivaine venue assister au procès. Sans qu’elle n’ai à trop de dévoiler, elle laisse transparaitre l’attrait qu’elle a pour cette femme et pour cette affaire dramatique qui pose bien des questions. Voilà un scénario bien ficelé pour un futur roman ! Comment cette femme lettrée mais non diplômée, douce mais ayant commis le pire en est-elle arrivée à cette extrémité là ? Elle qui apparait tour à tour victime puis coupable, délicate puis (trop) robuste – comme enfermée dans une carapace, abusée puis abusive… Est-elle vraie ? Joue t-elle un rôle ? Est-elle libre ou possédée ?
C’est cette ambivalence qui donne sa trame au film lent quoi qu’assez fascinant.
Il veut dire l’invisibilité imposée à des femmes ayant tout donné pour s’imbriquer à une société qui ne leur a jamais laissé la chance de trouver une vraie place.
Il veut dire aussi la dangerosité de laisser derrière soi ses racines – seule véritable tuteur.
L’intégration mais à quel prix ? L’intégration au risque de se perdre ?
Et cette réflexion – pour moi la plus belle du film – sur notre libre arbitre. Tel qu’il est véritablement. La liberté qui est la notre, les choix qui sont les nôtres et notre rapport à nos mères à toutes. Car le lien est fort, puissant, physique et ce, depuis la toute première seconde de la conception. Comment se départir de la toute puissance de nos mères, non pas se départir justement et c’est là tout l’exercice (dont celui de style voulu par le film) que de trouver notre place, notre raison d’être, notre vérité propre en lien avec ce que nos mères nous ont transmis. Savoir couper le cordon et pour autant maintenir, voire perpétrer, le lien. Et ne garder que le meilleur. Se dédouaner des douleurs du passé, de ces douleurs qui ne sont pas les nôtres mais celles de générations passées.
Faire femme. Devenir celle que l’on est, que l’on doit, que l’on veut être. L’ultime liberté.