Shéhérazade est l’essence même du cinéma.
Entendez déjà quelque chose. Moi qui aime écrire rapidement sur les films que je vois, j’ai voulu cette fois garder le sentiment, fort et puissant, que j’ai ressenti en découvrant ce film, pour moi. Vivre avec ce film quelque temps. Y songer. M’y replonger.
La force qui s’en dégage mêlée à l’amour qui s’y dissipe pour mieux se cristalliser est de ce que j’ai vu de plus beau depuis longtemps.
Je vois beaucoup de films, en aime un nombre assez conséquent, n’ai que peu de vrais et forts coups de cœur. Psychose, Taxi Driver, The Master, Un prophète, plus récemment 120 BPM en sont. Vous savez : ces films qui vous bousculent jusque physiquement… Shéhérazade le devient.
Difficile d’ouvrir mon cœur au point de vous révéler à quel point ce film m’a touchée. C’est de cet ordre là.
Le réalisateur manie avec une dextérité impeccable le romanesque qui inonde son film et jouxte une certaine réalité sociale qu’il ne feint pas de montrer. Son film vogue alors entre une « réalité terrain » assez noire et une dimension sentimentale aussi pure que belle. Le film est empreint d’un vrai naturalisme.
Tout dans cette œuvre est marqué du sceau de l’amour.
L’amour pour une ville déjà : Marseille comme je ne l’avais encore jamais vue, éclairée de sorte que la grâce et le plus glauque de ce qu’il se passe sur ses pavés sont magnifiés.
L’amour pour deux jeunes acteurs, novices, dont la force de jeu est époustouflante. Il faut les voir tout donner à la caméra avec l’innocence et la désinvolture auquel se lie le sérieux des premières fois.
L’amour pour le cinéma avec l’usage de ce grain qui donne une belle perspective au propos, une délicatesse troublée doublée d’une grande sophistication.
Shéhérazade devient en fait le nom de cet amour qui vient sans frapper, qui agite mais apaise, qui libère mais créé du lien.
Il se passe quelque chose qui dépasse les mots : sans aucun doute ce mystère des choses faites avec le cœur, avec les tripes. Jean-Bernard Marlin parvient ici à signifier le propre de l’adolescence. Ce film est empreint d’une telle force de vie !
Si les fondations de la vie se bâtissent durant l’enfance, je pense que l’adolescence est une des grandes étapes de la vie.
Cette phase d’entre deux marquée par la perte de repère, un mélange de laxisme et d’incandescence est admirable à observer.
J’aime tant lorsque le cinéma met en exergue ses exacerbations les plus folles. Ses sentiments ambivalents et ce feu qui étreint alors cette jeunesse en proie à tous les dangers, à toutes les errances, aux pulsions les plus extrêmes.
Le film dit que si les embûches sont partout, la possibilité du beau est là également. Il le dit en prenant le temps. La caméra zieute tantôt de loin tantôt caresse un visage ou l’inonde de soleil… Elle filme l’air de ne pas y toucher avec une délicatesse infaillible ou nous montre la réalité d’une situation de façon plus brutale.
La vérité est là à chaque plan et elle n’est jamais ni mièvre, ni hésitante.
Shéhérazade est un film qui dit vrai, sincère et puissant.
Voir ce merveilleux tableau de vie est définitivement la plus belle expérience que j’aie eu à vivre depuis ce début d’année.
De la beauté sublimée de cet amour qui survient alors sans crier gare et qui bouscule, change tout.
Shéhérazade est un film empreint du goût du bonheur.