Ce qui est certain c’est que ce film est de ceux qui font leur chemin. Je l’ai vu dimanche après midi, et il ne cesse de me revenir en tête. (nous sommes mercredi au moment où j’écris ces lignes)
Si je n’ai pas été surprise par le jeu de Cate Blanchett – qui m’épate à chaque fois tant elle entre dans ses rôles avec puissance et vigueur (je pense encore parfois à cette Blue Jasmine à laquelle elle donna vie chez Woody Allen), la forme du film m’a quant à elle étonnée. Pour le moins, et pour le meilleur !
Je m’attendais à un film hollywoodien qui aurait fait la part belle à bien des détails en lien avec ce sujet « à la me too », et sur la chute de cette femme adulée et respectée.
Si ce propos est bien celui du film, le tempo et très judicieux et il donne au film un classicisme et un sens de l’épure.
Car oui il est question de tempo dans ce film cadencé à merveille.
Lydia Tar dirige l’orchestre philharmonique de Berlin. Elle est adulée, respectée, reconnue. Elle et la femme qui partage sa vie (par ailleurs premier violon de l’orchestre) élèvent une petite fille en proie à du harcèlement scolaire et a des terreurs nocturnes. Cette petite fille solitaire et son univers imaginaire sont les premiers éléments de discorde, de dissension, de distortion du film. On imagine alors que le point de focale sera celui là.
C’est au final tout autre chose qui se profile sous nos yeux sans que cela ne nous soit révélé de façon directe ou brutale.
Lydia aurait (aucun détail ne nous ai donné et c’est là que se niche la qualité du film à mon sens) entretenu une relation extra conjugale avec une autre femme qui finira par se suicider, semble t-il car elle ne supportait plus de se sentir rejetée par la chef d’orchestre.
Mais revenons en à la forme du film qui ne montre rien de tout cela. Il s’ouvre sur une conférence donnée par Lydia Tar, interviewée par un journaliste du New York Times sur son parcours, et alors qu’elle s’apprête à sortir ses mémoires. Il s’étire ensuite sur un cours que la musicienne donne à Julliard, le conservatoire new yorkais de renom qui forme les meilleurs artistes au monde, danseurs, musiciens…. Sans doute mon passage préféré tant il dit tout de la dualité voire de la complexité du personnage de Lydia Tar. Elle reprend un élève qui lui dit ne pas vouloir jouer Bach car il a eu une 20aine d’enfants (sic !) Cette fameuse question de séparation entre l’homme et l’artiste ! Qui vaut pour beaucoup et mérite d’être posée, je ne dis pas le contraire. Et Lydia Tar de rétorquer que son esprit lui semble bien embrigadé par les réseaux sociaux. Et, sous entendu, le puritanisme qui lui est associé.
Une position de dureté, d’anticonformisme ambiant qui pose le personnage. Sans aucune doute, une femme qui « s’est faite » dans un monde d’hommes. Une femme qui a pris sa place.
A cet instant je trouve : le clivage est important et il nous est donné de réfléchir à notre positionnement face à cette femme. Est-elle vraiment droite ? Saine ? Au clair avec ses agissements ?
S’en suit un focus sur sa vie de famille et toute une suite d’événements étranges qui disent l’imbroglio dans lequel elle semble s’être enfermée : un livre qui disparait, un métronome qui se met en marche tout seul la nuit… Cette symbolique marque l’effet de nuisance causé par les agissements de Lydia Tar, la femme autrefois respectée dont les coutures commencent à céder.
Comment alors éviter la chute ? Le réalisateur ne se prive pas de montrer cela mais n’en fait pas trop et évoque plus qu’il n’appuie. En cela, contrairement à ce que pensent les critiques du masque et la plume, je ne trouve pas que le Todd Field (le réalisateur) déteste son personnage. Il ne lui inflige pas un sort particulièrement terrible, juste la chute que son comportement aura induit. Le réal ne cherche pas d’excuse à Lydia Tàr. Il nous invite à voir ses parts d’ombres, ses ambiguïtés et ses manquements.
Homme, femme… Il semblerait alors que ce ne soit pas une affaire de sexe mais bel et bien de pouvoir et de la façon dont est perçu et vécu ce pouvoir. En ce sens, Tar est un véritable plaidoyer contre les abus de pouvoir. Ceux là même qui font que certaines personnes se pensent au dessus des lois et en toute puissance.