Alain Guiraudie, que j’ai découvert comme beaucoup avec son Inconnu du lac qui avait tant échauffé et marqué les esprits, nous livre ici avec ce nouvel opus un excellent vaudeville citadin qui navigue entre ironie, humour grinçant et grande tendresse.
Ce qui est certain c’est qu’il donne à voir une excellente réflexion sur l’une des grandes névroses de notre société : la peur de l’autre, de l’étranger, la paranoia ambiante qui nous assaille sans qu’on s’en rende vraiment compte et cette idée tout à fait pernicieuse qui voudrait qu’on ne se préoccupe plus que de soi même.
En filigrane, mais somme toute de façon très approfondie, Alain Guiraudie dit les maux de notre France totalement repliée sur elle même et sur la profonde amertume qui peuple désormais nos villes, nos rues, nos voisinages.
Les acteurs sont tous formidables et fonctionnent à merveille ensemble pour dire tout cela. Du besoin de fraternité qui pourrait nous aider à tisser un monde plus humain à « la réalité du terrain » (la politique, les media… tout cela) qui cherche à nous diviser, à nous éloigner les uns des autres, en passant par l’utopie de la communauté (à laquelle j’ai terriblement envie de croire à l’issue de cette projection).
Guiraudie est un maitre tant il joue avec des nuances très marquées mais pourtant très fines, avec l’humour et le sérieux voir le très grave (il est question d’attentats, de gens « entre la vie et la mort ») mais il garde sa ligne et son film déroule scène après scène une certaine idée du besoin majeur et urgent que nous avons de porter un regard véritablement humain sur ceux qui nous entourent. Que ce soit par amour ou par « esprit citoyen », il nous faut pouvoir nous sentir impliqué, il nous faut pouvoir jouer du rôle sociétal qui est le notre (chaque voix compte) : jouer notre rôle, faire notre part pour la société.
C’est ce qu’incarne Médéric (impeccable JC Clichet) qui, comme tout un chacun, est pris parfois de doute, juge, pense à mal mais qui, à chaque instant, agit, est dans l’action, se sent concerné. Et c’est là je pense le coeur du sujet. Le noyau du film. Le bien être qu’il procure que de montrer cet homme en action, parfois maladroit mais toujours honnête dans sa démarche. Le film dit alors la richesse majeure que ce type de comportement ferait à notre société toute entière s’il était démultiplié.
Sans être dépeint comme étant un sauveur de l’humanité, cet homme à la fois banal et extraordinaire porte en lui la capacité à réunir, et c’est en soi un acte de foi, un acteur social majeur en ces temps de désorganisation. Il créé le lien avec une prostituée dont le mari la tabasse depuis des années, avec ses voisins, et finalement avec tous les personnages de l’intrigue. Il est un pilier sans qui chacun se terrerait dans son coin « en attendant que ça passe ».
Guiraudie dit tout cela avec empathie et force. Il ne mâche pas ses mots et son film frappe fort, mais si vrai. De la dangerosité des chaines d’informations en continu qui distillent du stress et des informations non vérifiées du surcroit… en continu, à l’impuissance des institutions en place qui ont baissé les bras « on ne se déplace plus pour cette adresse » répondra un policier lors d’un appel d’urgence passé.
Le film se veut léger lorsqu’il montre frontalement les réalités d’une société qui a déjà basculé vers le dérive.
Mais il suffit d’une personne – possiblement d’un jogger amateur – pour « faire groupe » et retisser le lien. Guiraudie le dit haut et fort : ce serait là la clé de notre réparation. La cause commune.
Une balade citadine foutraque pourtant terriblement galvanisante.