AMHA (A Mon Humble Avis), Festivals de Cinéma

Vingt Dieux

Posted by Barbara GOVAERTS

C’est un pur récit initiatique que ce premier film. Et vous n’avez rien vu de plus beau au cinéma depuis longtemps.

C’est l’histoire d’un jeune homme que la vie va obliger à se responsabiliser. Et pour lui qui était jusque là plutôt focalisé sur la fête et la picole, c’est une gageure.

J’ai été éblouie par la délicatesse avec laquelle est filmée l’histoire de ce jeune homme. Une véritable épopée de vie.

La jeune réalisatrice (30 ans, c’est son premier long) épate avec cet opus d’une douceur inouïe qui inonde la soit disant âpreté de ce milieu rural où les habitants sont plus habitués au dur labeur qu’à la parlote.

C’est très justement cela qui m’a le plus émue. Le film se raconte surtout dans ses silences. Comme cette scène qui m’a émue aux larmes durant laquelle le meilleur ami d’Anthony, mais appelez le Totone, lui dit que s’il souhaite parler de sa peine, il est là. Imaginez ces deux potes de 18 ans, plus habitués à parler de leurs expériences sexuelles de façon lourdaude et complexée, et de courses de bagnoles, avoir ce moment d’intimité, de délicatesse amicale. C’est cette subtilité dans les dialogues (très « dégraissés« ), dans le jeu (minimaliste, ils sont tous des non acteurs) et dans la mise en scène (beaucoup de plans séquences, pas de fioritures, jamais) qui font la beauté de ce film.

L’acteur qui incarne Totone a été déniché lors d’un casting sauvage. Il est une grande révélation. Son physique tout à la fois dur et tendre irradie l’écran. Un nouvelle fois, voilà bien quelque chose qui ne s’explique pas : la caméra capte l’essence même d’un corps, d’un visage… ou pas. Ici, elle magnifie la beauté de ce garçon qui se révèle alors à l’écran et nous livre son ouverture à la vie, à ceux qui l’entourent, à son environnement.

Ainsi, cette petite soeur d’abord invisibilisée (toute minuscule dans ce gros camion ! puis qui siège tout en haut de la cuve qui leur sert à faire le fromage) va devenir son bras droit, sa muse presque… Celle pour qui et par qui il va devenir un homme, avec tout ce que cela implique de responsabilité, de prises de décisions, de tentatives, de réflexion… Et Totone, s’il avait jusque là mis en sourdine ses capacités à se gérer lui même et à participer à la gestion d’un foyer, se révèle bien plus grand qu’il ne l’aurait lui même pensé. En cela, Vingt Dieux est un film sur la prise de conscience et de confiance.

Ce film, c’est aussi l’amour : pour ses amis donc, pour sa petite soeur et pour Marie Lise : une fermière loin des standards de beauté superficielle auxquels Totone était jusque là plutôt réceptif. Marie Lise est une femme de poigne, qui se suffit à elle même, qui sait ce qu’elle veut et ce qu’elle vaut. Et la voir faire briller les yeux de Totone est la chose la plus douce dont j’ai été témoin ces derniers temps. C’est rare de filmer l’intrigue, l’émotion des corps… De filmer l’émotion d’un homme vis à vis du corps d’une femme. Ca c’est féministe ! Et c’est beau et d’une grande douceur pure et classe.

Vraiment Louise Courvoisier nous livre un film digne des plus grands récits initiatiques qui soient dans l’histoire du cinéma. Elle a su capter les regards, la façon de se mouvoir… Mais aussi la beauté des paysages, ce que la brume et le soleil apportent à la campagne….

Et tout cela, sans jamais chercher à avoir une posture, jamais son regard et son propos ne sont poseurs. C’est digne, droit, sans fioriture aucune. Et c’est sans aucun doute pourquoi le tout est si beau et émouvant.

De l’incarnation du parfait point de focale. Faire de cette histoire de vie (de plus on sait que Louise Courvoisier a tourné dans son Jura natal), une histoire capable de parler au plus grand nombre. De l’intime à l’universel. La richesse ultime de tout bon récit, de tout bon cinéma.

Enfin, et je finirais par ça, le cinéma est un art merveilleux. Une fois de plus il m’a emmenée dans un univers qui n’est pas le mien, loin de là. Et je peux le dire sans aucune volonté d’enrober une réalité, j’ai été émue aux larmes de voir ce jeune homme tourner du lait caillé à s’en bruler les bras. Emue pour de vrai. Le cinéma est un art merveilleux.

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